Scène 6 – Extrait

Suzanne : depuis toute petite, depuis la toute première fois que je l’ai vue, elle m’a comme magnétisée…Je peux rester des heures à la regarder…La mer…Les vagues qui naissent et meurent à chaque instant dans une berçante mélodie. La caresse du vent. Le sable chaud et moelleux qui épouse la forme des corps alanguis et des châteaux de sable. L’air marin promène son doux parfum. Le regard se perd à l’infini, la mer épouse le ciel. C’est la rêverie, le temps suspendu, la plénitude…

Et puis un jour, après un long voyage pour la retrouver, au lieu de la joie et du calme habituels qu’elle m’inspire, c’est des sanglots longs qui se sont mis à couler. Mon corps tout entier était secoué de tristesse et de révolte. Elle l’a emporté. En pleine jeunesse, en pleine vacances.

Karl, vingt-neuf ans, le premier de ma classe de la seconde à la terminale.

Un voyage en Indonésie avec son amie. Leur chambre d’hôtel n’était pas prête, alors ils ont laissé leurs valises et sont partis flâner…

Ils ne sont jamais revenus. Les valises étaient là, intactes dans l’hôtel sur la colline.

Tsunami. Des images à la télé, trois syllabes si lointaines. Et pourtant…

Il était devant moi au bac français, l’alphabet nous plaçait toujours assez près. Commentaire composé sur « Julien Sorel »… J’étais inspiré mais lui il grattait, il grattait des pages entières mais qu’est-ce qu’il pouvait bien écrire ?

C’était une bête ce gars là, un cerveau, et pas le genre boutonneux en plus !

Quand j’ai appris sa mort ça m’a paru impossible. Lui si jeune, si brillant, mort ? Y’a comme un truc qui collait pas. Comme s’il y avait une logique dans la mort…

Après l’incrédulité, vient la révolte, la colère…Pourquoi ? Pourquoi lui ? Pourquoi si jeune ? ça parait tellement injuste…

Et puis tu penses à ta propre mort…Parce que les jours s’enchainent, tu cours, tu cours mais t’oublie, t’oublie que t’es mortel et là ça te revient en pleine figure ! Cette réalité qu’on laisse de côté nous rattrape, nous secoue, comme ces vagues qui l’ont emporté, et nous abandonne meurtris sur le sable…

Elle se roule dans le sable. Musique. Moment dansé puis sortie.