Scène 2 – Extrait

 Emilie : je regardais une émission sur les Dogons, et puis tout d’un coup j’ai découvert que la mort pouvait faire rêver ! Enfin je veux pas dire que j’ai envie de mourir non, j’ai découvert la façon dont les Dogons enterrent leurs morts et ça m’a donné envie d’être enterrée comme ça…Tout d’un coup il m’est apparu qu’il était possible que la mort s’entoure d’une part de rêve et de fantaisie…
Là-bas les défunts sont déposés dans une galerie creusée dans la roche qui se trouve à flan d’une falaise. Pour l’atteindre, nulle autre possibilité que de descendre hissés au bout d’une corde. Le paysage au somment de la falaise est désertique, aucun point d’ancrage pour fixer la corde. Alors plusieurs hommes athlétiques, torses nus cela va sans dire, tiennent la corde, pendant qu’un autre descend le long de la falaise avec la dépouille. J’imaginais qu’au terme de ma longue vie, oui je m’imagine devenir très vieille, une dernière fois un homme me prendrait dans ses bras musclés. Au péril de sa vie, il me ferait descendre le long de la falaise avec une vue imprenable sur la vallée et une lumière magnifique…Faire transpirer des hommes torses nus une dernière fois…

Emmanuel : et ben dis donc et ça existe en version homme ? Je veux dire avec des femmes, genre de magnifiques amazones quand c’est l’enterrement d’un homme ? Non parce que moi j’avoue que la perspective de me faire tripoter par des hommes athlétiques en sueur m’excite beaucoup moins !

Emilie éclate de rire : Ah oui c’est sûr, je vois d’ici le tableau ! Mais par contre j’ai un ou deux amis à qui ça plairait beaucoup, ils seraient capables de re-mourir toutes les semaines ! Les dogons finiraient par les achever pour être tranquilles !

Emmanuel : moi ce qui me ferait plaisir c’est qu’on m’écrive un ultime poème rien que pour moi et qui m’accompagne à tout jamais. J’ai besoin de poésie, est-ce que tout le monde n’a pas besoin de poésie ?  Comme le texte qu’Elsa Triolet a écrit pour son amoureux Louis Aragon et qui est gravé sur leur tombe, dans le parc de leur moulin : « Quand côte à côte nous serons enfin des gisants, l’alliance de nos livres nous réunira pour le meilleur et pour le pire dans cet avenir qui était notre rêve et notre souci majeur, à toi et à moi ».

Emilie : waouh comme c’est beau…Emilie et Emmanuel gardent quelques seconde de silence, sous le coup de l’émotion. Justement tu as raison, on a besoin de beauté, dans les mots et dans les choses qu’on regarde. Ça ça manque terriblement dans les cimetières ! Tiens l’autre jour j’y suis allée pour chercher la tombe d’une amie. J’ai arpenté les allées et j’ai été frappée par la noirceur, partout cette noirceur. Le gravier des allées, les murs du cimetières, les pierres tombales…Pas un arbre, pas un oiseau, aucune vie, comme un champ de bataille. L’homme est capable de créer de telles œuvres d’art, des jardins de toute beauté…Et pour honorer nos morts c’est là tout ce que nous leur offrons ? Et qu’en est-il des vivants qui auraient tellement besoin de réconfort ? Est-ce qu’on pourrait pas imaginer des bassins avec des poissons, des canards, des arbres, des plantes grimpantes, et puis des sépultures en bois, en verre, en mosaïque ?